Le procès de Clermont-Ferrand comme si vous y étiez...

Le procès de Clermont-Ferrand comme si vous y étiez...

L’intérêt des procès de septembre est que pour la première fois, les Faucheurs et les témoins cités par la défense ont pu, avec l’accord des présidents de cours, exprimer en toute liberté, et sans limite de temps, leurs motivations, et les confronter publiquement aux arguments des pro-OGM. En l’absence de tout débat public organisé par les autorités sur la problématique des organismes génétiquement modifiés, l’avancée est notable. Cependant, ces débats passionnants sont en quelque sorte restés entre les murs des tribunaux, les différents médias présents se cantonnant, comme d’habitude, à ce qui est leur brouet : l’événementiel. Pourtant, ce qui a été dit doit être su ! C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de diffuser le compte-rendu (à peu près) exhaustif de ces trois audiences. Nous avons choisi de retranscrire les débats bruts, sans commentaires, afin de vous permettre de vous faire votre propre opinion. La lecture pourra paraître parfois un peu ardue, mais nous restons persuadés que la qualité des arguments déployés lors de ce procès vaut la peine d’en faire l’effort...

Entre les procès de Riom (le 14 septembre) et de Toulouse (le 20 septembre), concernant des fauchages d’essais OGM en plein champ datant de l’été dernier, venait s’intercaler, le 16 septembre, celui de Clermont-Ferrand, un procès “original” en ce sens qu’il comportait quelques “premières” : il concernait un fauchage récent (le 27 août) ; les quinze prévenu(e)s comparaissaient en première instance pour le fauchage d’une parcelle de maïs, cette fois thérapeutique, de la firme Meristem, à Nonette (Puy-de-Dôme), un essai sensé produire un médicament contre les effets gastriques de la mucoviscidose ; ils avaient été arrêté(e)s sur les lieux mêmes de l’action (et non convoqué[e]s par la suite) et avaient subi une garde-à-vue de quarante-huit heures, débouchant sur une première comparution immédiate (le 29 août).

Cette nouvelle “procédure” a donné lieu à une extraordinaire mobilisation des Faucheurs. Durant trois jours, de l’arrestation des quinze prévenu(e)s jusqu’à leur sortie du tribunal, plusieurs dizaines d’entre eux sont restés là, devant les grilles de la gendarmerie puis celles du tribunal, sans jamais cesser (même la nuit !) de taper sur de gros bidons improvisés en tambours. Cette mobilisation a peut-être permis aux arguments des avocats de la défense de porter plus. Toujours est-il que la cour, suivant la défense contre l’avis du procureur, décidait leur relaxe et les convoquait pour un vrai procès, deux semaines plus tard.

Le 16 septembre donc, quinze Facheuses et Faucheurs (parmi lesquels deux jeunes Larzaciens, Josh Imeson et Jérôme Rémia) comparaissent en première instance, soutenus, comme l’avaient été ceux de Riom et le seront ceux de Toulouse, par deux à trois cents Faucheurs, présents en masse à l’intérieur et à l’extèrieur du tribunal. Ils sont poursuivis pour “destruction volontaire et en réunion”.

Le premier échange a lieu au sujet de la procédure.

François Roux (avocat de la défense) : Au moment de la garde-à-vue, la notification de leurs droits aux prévenus et l’autorisation de rencontrer un avocat, ont été trop tardives. Nous demandons donc l’annulation des procès-verbaux pour vice de forme.

Procureur : Je préfère attendre pour vous répondre sur ce point, en même temps que je le ferai sur le fond de l’affaire.

François Roux : Pour les procès en première instance concernant d’autres fauchages, environ trois cents comparants volontaires ont demandé à comparaitre. Leur demande avait été acceptée par les cours de Riom et de Toulouse, sur l’argument de mener un procès équitable, comme l’exige l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme. Pour ce procès, nous avons soixante-dix huit comparants volontaires [Faucheurs qui étaient présents sur les lieux de l’action, ndlr] et deux cents co-responsables déclarés [Faucheurs qui n’étaient pas sur les lieux, mais qui revendiquent l’action, ndlr]. En juin dernier, le Garde des Sceaux, M. Perben, avait diffusé une circulaire réclamant la plus grande sévérité envers les Faucheurs. Il l’a envoyée aux procureurs, ce qui est normal, mais aussi aux juges, ce qui l’est beaucoup moins. Il s’agit d’une véritable prise en otage des juges, qui sont indépendants de la Chancellerie. Ne vous laissez pas faire. [...] Nous sommes de plus dans un contexte ahurissant, celui d’un dépôt de plainte pour “association de malfaiteurs”, rien que ça, dans une autre affaire de fauchage, et des déploiements impressionnants de forces de l’ordre devant les tribunaux.

Avocat de la partie civile : Sur la question des comparants volontaires, la question a déjà été réglée par la Cour d’appel de Toulouse en avril et celle de Riom, en mai dernier : l’opportunité des poursuires appartient au Parquet. Il est hors de question de “privatiser” la justice.

Procureur : Je n’aime pas votre présentation de la justice et des procureurs, qui sont des magistrats indépendants du pouvoir politique. Mais certains avocats [il fixe alors François Roux, ndlr] se mettent au service de causes suspectes, se servent de la justice plus qu’ils ne la servent. [...] La limite des poursuites intentées ici est simplement le reflet des limites des capacités policière et judiciaire. De plus, nous sommes ici dans un contexte de comparution immédiate, une procédure incompatible avec des comparutions volontaires.

François Roux : Les décisions des Cours d’appel de Toulouse et de Riom n’engagent qu’elles. Les tribunaux peuvent résister, d’autres Cours d’appel résisteront, le droit avancera. Il est temps. La France est souvent condamnée par la Cour européenne de justice à Strasbourg... et les décisions des Cours d’appel de Toulouse et de Riom, non conformes à l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme, y seront bientôt évoquées.

Viennent ensuite les dépositions des prévenus, qui se succèdent à la barre pour exprimer leurs motivations.

Premier prévenu : J’ai participé à une action de désobéissnce civile non-violente pour réagir à un danger menaçant la biodiversité. [...] Il m’est insupportable qu’une infime minorité, les firmes semencières, pendant un temps infime, impose un système global et irréversible à l’humanité. [...] De même qu’il m’a été insupportable d’être frappé menotté par des nervis de Meristem devant des gendarmes impassibles.

Seconde prévenue : J’ai agi par conviction. J’aurais aimé pouvoir faire la même chose au moment de l’affaire du sang contaminé. [...] Je trouve scandaleux que le monde soit pris en otage pour et par des intérêts financiers. [...] L’opposition aux OGM émane de partout : des centaines d’arrêtés anti-OGM municipaux ont été pris, des dizaines de conseils régionaux en ont fait autant, des scientifiques mêmes se déclarent de plus en plus nombreux contre les OGM en plein champ. [...] Pour moi, il s’agit d’un devoir citoyen.

Troisième prévenue : J’ai aussi agi par conviction. Je préfère la prévention à la curation. Je pense que d’autres formes de recherche sont possibles. [...] C’est moi qui ai demandé à être arrêtée. Je suis une “arrêtée volontaire”.

Quatrième prévenu : J’ai aussi agi par conviction. Face au déficit démocratique, c’est le devoir du citoyen de réagir [...] Je suis pour l’application pleine et entière du principe de précaution. Je ne suis pas opposé à la recherche médicale, mais autrement.

Cinquième prévenu : Lorsque j’étais enfant, j’ai été frappé par des images vues à la télévision de catastrophes écologiques, comme celle de Seveso, de l’Amoco Cadiz et, plus tard, de Tchernobyl. [...] Dans ce monde, le profit passe avant l’être humain. [...] Quand les pouvoirs publics ne remplissent pas leur devoir de protection de l’intérêt général, c’est aux citoyens de le faire.

Sixième prévenu : J’habite dans les Cévennes, où les firmes minières ont saccagé des vallées entières, détruit l’environnement, ruiné tout un pays au nom du progrès, puis sont parties avec le pactole. Il faut prendre conscience que tous ces problèmes nous concernent tous. On n’a pas besoin d’y ajouter les OGM. [...] Je considère avoir fait une travail citoyen, ne serait-ce qu’envers mes enfants.

Septième prévenu : J’ai agi par conviction, en menant une action symbolique destinée à sonner l’alarme, face à la volonté du gouvernement d’éviter le débat sur un choix de société qui nous concerne tous. [...] Je ne suis pas opposé à la recherche, mais elle doit être faite en milieu confiné. [...] Les citoyens doivent réagir face au cynisme. Les arguments des pro-OGM sont des mensonges éhontés.

Huitième prévenu (Josh) : Je suis Américain, et ma sensibilité aux problèmes d’environnement s’est développée lorsque j’ai réalisé un film-documentaire sur les dégats de l’agriculture productiviste aux Etats-Unis. [...] Il faut savoir qu’au Canada, des paysans sont condamnés pour vol de semences alors que leurs champs ont été pollués par des OGM. [...] Aux Etats-Unis, il est trop tard. Mais en France, nous pouvons encore éviter ça.

Neuvième prévenu : Je suis journaliste indépendant, c’est la raison pour laquelle j’étais là. Mais j’ai aussi fauché, par conviction. [...] Je suis issu d’une famille de Résistants, et je suis donc très sensible à la nuance entre la légalité et la légitimité. Sous le gouvernement de Vichy, il était légal de collaborer avec les Nazis.

Dixième prévenu (Jérôme) : [...] Personne ne peut nous dire où nous allons. Et je n’aime pas l’avenir “façon Limagrain”. [...]

Onzième prévenu : Je suis responsable d’une coopérative bio. [...] L’agriculture n’est pas une marchandise. La biodiversité n’appartient à personne. Même si elle est parfois issue de croisements, ils étaient traditionnels.

Douzième prévenu : Le fauchage est un acte symbolique pour interpeller l’opinion publique. [...] En France, on peut encore agir. Dans d’autres pays, c’est déjà le fait accompli. [...] Nous n’avons pas de vocation de martyr, mais il faut arrêter la course suicidaire au profit à n’importe quel prix. Où est le respect de la vie ?

Treizième prévenu : Le paysan est devenu un exploitant, la ferme une entreprise, la production n’est plus faite pour nourrir, mais pour le business. [...] Je suis pour la recherche, mais pas n’importe comment. On s’attaque aujourd’hui au vivant et on ne respecte plus la démocratie. Il est donc impossible de faire autrement que désobéir. Nous avons des droits, mais aussi des devoirs, les Faucheurs et les autres.

Quatorzième prévenu : Nous avons le devoir d’agir contre la dictature d’un petit monde agricole basique. [...] Ayons le respect de la terre.

Quinzième prévenu : Je refuse la mainmise des firmes sur l’agriculture mondiale. [...] Les risques portés par les OGM sont très grands, puisqu’aucune compagnie d’assurance ne veut les assurer. Nous avons tous droit à un environnement sain. Notre action, à visage découvert et à main nue, était destinée à mettre en lumière ce que les firmes veulent cacher, et dénoncer le déni démocratique.

La parole est ensuite donnée aux témoins de la partie civile.

Premier témoin de la partie civile (officier de gendarmerie [qui était en poste à Millau à l’époque du démontage du Mac Do..., ndlr]) : [...] Pour nous, gendarmes, les Faucheurs sont des adversaires. Leur grande détermination nous impose d’intervenir et de les interpeller. [...] Nous avions des ordres précis de la préfecture : empêcher le fauchage, y compris par la force, y compris par les armes [emploi de grenades offensives, qui ont fait 80 blessés l’été dernier dans les rangs des Faucheurs, ndlr].

Second témoin de la parte civile (médecin spécialisé dans la mucoviscidose) : La mucoviscidose est une maladie génétique due à la déficience d’une protéine. Le pancréas ne fonctionne pas normalement, la digestion se fait mal, et l’organisme va chercher ailleurs son énergie, c’est-à-dire sur les muscles. Il existe des traitements, mais qui sont argement insuffisants. Il y a donc nécessité d’une nouvelle recherche, dans une nouvelle direction, notamment sur la lipase gastrique.

Troisième témoin de la partie civile (le directeur scientifique de Meristem) : Meristem est une petite société clermontoise spécialisée dans la production de protéines issues de plantes génétiquement modifiées. La production de lipase gastrique en laboratoire a échoué, d’où le choix de la produire à partir du maïs. [...] Grâce à l’expérience des agriculteurs de la coopérative Limagrain [qui possède 15% du capital de Meristem, ndlr], il n’y avait aucun risque de pollution des champs voisins : les bordures de la parcelle étaient constituées de maïs traditionnel, destiné à “éponger” une éventuelle pollénisation du maïs OGM, et un espace de sécurité avait été mis en place. [...] Les mises en cultures d’essais OGM sont autorisés par le ministère de l’Environnement. [...] Ne confondons pas le cycle thérapeutique et le cycle alimentaire. Les grains de maïs OGM que nous produisons n’entreront jamais dans le cycle alimentaire. [...] Après une présentation de notre projet aux élus du Conseil régional d’Auvergne, nous avons introduit les remarques de ce dernier dans notre cahier des charges [ce qui n’a pas empêché par la suite le Conseil régional de confirmer son vœu contre les OGM, voir plus bas, ndlr]. Notre parcelle était clairement signalée au public, avec des panneaux. Nous n’avons rien fait dans l’ombre, nous ne nous sommes pas cachés, nous avons joué le jeu, mais la parcelle a néanmoins été détruite. Il s’agit d’un harcèlement, qui met en péril notre société au niveau commercial. [...] La production en laboratoire est insuffisante par rapports aux importants besoins des patients, et elle revient beaucoup plus cher. [...] L’an prochain, nous prévoyons de mettre en culture 500 à 1.000 hectares de maïs génétiquement modifié aux mêmes fins.

Viennent ensuite les dépositions des témoins de la défense.

Premier témoin de la défense (professeur en génétique biomoléculaire) : Je suis bien sûr favorable au génie génétique employé dans la recherche pharmaceutique et médicale. L’insuline fabriquée en laboratoire soigne déjà des millions de personnes. La recherche en laboratoire existe donc déjà, et rencontre de nombreux succès. C’est donc possible. La production en champ n’est donc qu’une question d’économies de bouts de chandelle. Or, les mesures de protection sont inefficaces. Nous n’avons aucun moyen de contrôler l’efficacité des mesures de protection La dissémination “zéro” est impossible, et c’est encore plus dangereux lorsqu’il s’agit d’OGM thérapeutiques : une molécule est active par définition et là, c’est comme si on lâchait dans la nature un médicament non homologué. Les Etats-Unis commencent d’ailleurs à s’en prémunir, en utilisant d’anciennes mines ou carrières. [Il faut aussi savoir que le même genre d’essai thérapeutique que celui de Meristem dans le Puy-de-Dôme, a été refusé par les autorités américaines sur leur territoire, ndlr]

Second témoin de la défense (professeur en génétique biomoléculaire) : Les Faucheurs ne contestent pas la production de lipase, mais le fait qu’elle le soit en plein air. [...] Il s’agit d’un risque démesuré, pire qu’une pharmacie qu’on laisserait toutes portes ouvertes et où chacun viendrait se servir au hasard. La recherche sur les plantes est bien sûr nécessaire, mais elle est tout aussi possible en milieu confiné, et même préférable quant au résultat, puisqu’en laboratoire, il ne peut y avoir interférence de corps étrangers, comme le vent, la pluie et des bactéries indésirables, qui peuvent tout fausser. Elle est de toute manière recommandée dans le rapport du comité des Sages, commandé l’an dernier par le gouvernement. [...] On ne tire pas les leçons du passé, comme l’affaire du sang contaminé, qui devrait pourtant nous inciter à la plus grande prudence.

Troisième témoin de la défense (conseiller régional à l’environnement du Conseil général d’Auvergne) : La situation est pourtant claire : la Mission parlementaire d’information sur les OGM conseille un moratoire sur les esssais en plein champ, des centaines d’arrêtés municipaux anti-OGM ont été pris, le Conseil général d’Auvergne a voté un vœu contre les OGM... et les essais continuent comme si de rien n’était. La démocratie est galvaudée au nom d’intérêts financiers privés. [...] Le vœu émis par le Conseil régional d’Auvergne faisait suite aux Assises pour l’Environnement, qui avaient réuni 5.000 participants et avaient fait le choix d’une agriculture auvergnate de qualité. Ce vœu était donc très argumenté, mais il n’a pas été pris en considération par les pouvoirs publics. Il ne faut donc pas s’étonner si certains choisissent de poser des actes de désobéissance civile. [...] Le Conseil régional vient de voter une nouvelle motion, interdisant toute subvention régionale aux cultures OGM.

Quatrième témoin de la défense (maire de Nonette) : J’ai été informé de l’implantation d’un essai d’OGM en plein champ sur le territoire de ma commune, mais je n’avais aucun moyen de m’y opposer, ni même le moyen d’en connaître la localisation exacte. [...] Nous avions organisé un débat public avec Meristem, pris ensuite notre arrêté anti-OGM, mais nous avons été menacés par la préfecture et avons dû le retirer, malgré le soutien de nos administrés.

Cinquième témoin de la défense (paysan aveyronnais) : Je suis producteur de lait de brebis pour Roquefort, qui est la plus ancienne AOC [appellation d’origine contrôlée, ndlr] de France. Notre cahier des charges est draconien et interdit la double filière, “hors OGM” et “OGM”, dans l’alimentation de nos brebis. Cette interdiction rencontre l’opposition des représentants de la FDSEA [Fédération départementale des syndicats et exploitants agricoles, favorables à l’agriculture industrielle, ndlr], par ailleurs actionnaires de la RAGT [coopérative associée à Limagrain, ndlr], mais a le soutien des industriels. Nous développons donc une filière “hors OGM”, mais il est difficile de savoir si l’alimentation animale que nous utilisons n’en possède pas. [...] Nous sommes des victimes.

Sixième témoin de la défense (José Bové) : Les voies démocratiques ont été bouchées dès le début, en 1997. Nous avons alors mené des actions de désobéissance civile contre l’importation d’OGM sous le gouvernement Juppé et contre les mises en culture sous le gouvernement Jospin. Nous avons eu droit à des procès, à des amendes, à des peines de prison. Ce mouvement de désobéissance civile des Faucheurs volontaires a été initié par la Confédération Paysanne et a été repris en connaissance de cause par des milliers de citoyens à travers la France [5.300 selon les dernières statistiques du collectif, ndlr]. [...] Le droit de propriété ne donne pas le droit de polluer le champ du voisin. [...] La désobéissance civile est un choix ultime, malgré tout ici basé sur le droit, qui engage une responsabilité à la fois individuelle et collective. [...] En France, 17 régions sur 22, plus de 3.000 maires, se sont prononcés contre les OGM, mais le pouvoir politique se défile. [...] Dans cette affaire, la petite société Meristem sert de Cheval de Troie à la grosse firme Limagrain. [...] Les anciens mensonges des pro-OGM, relatif à la lutte contre la faim dans le monde ou la préservation de l’environnement, sont aujourd’hui démasqués. Alors, leur communication va désormais vers un sujet sensible, celui de la recherche médicale. [...] Les OGM, par les brevets qu’ils impliquent, ne sont motivés que par le profit. [...] Nos fauchages de nuit actuels, qui nous sont reprochés parce que nous n’agissons plus à visage découvert, bien que celui jugé ici se soit fait en plein jour, n’ont pour but que d’éviter les affrontements, conformément à notre attitude non-violente.

Septième témoin de la défense (Faucheur, hémophile) : Je suis un utilisateur de médicaments issus des biotechnologies, et on ne peut donc pas me reprocher d’être hostile à la recherche médicale. Mais ceux que j’utilise sont produits en milieu confiné. Les recherches menées en plein champ n’ont pour motif que la rentabilité à outrance, au mépris des risques que l’on fait courir à l’ensemble de la population. Ne confondons pas le temps scientifique, qui doit être long, et le temps économique, qui est court. Je suis malade, mais cela ne m’empêche pas de me sentir avant tout citoyen responsable.

Huitième témoin (Faucheuse, mère d’un jeune homme malade de la mucoviscidose) : Oui, je suis mère d’un jeune homme atteint de la mucoviscidose, et pourtant Faucheuse. Je suis scandalisée par l’exploitation faite de la souffrance des enfants malades par les pro-OGM pour colporter leurs mensonges. La production de lipase gastrique en plein champ est dangereuse. Je souhaite le progrès de la recherche médicale, mais pas au prix de la mise en danger de la santé d’autrui. Les Faucheurs n’agissent pas pour leur intérêt personnel, ils n’ont rien à vendre, eux, mais ils agissent pour l’intérêt général.

Commencent alors les plaidoieries, avec en premier celles de l’accusation.

Plaidoirie de l’avocat de Meristem : Les Faucheurs exploitent les peurs et des opinions politiques extrémistes pour justifier leurs actes. [...] Meristem est une petite entreprise, pas une multinationale, pas un laboratoire pharmaceutique. Elle est soutenue par l’association “Vaincre la mucoviscidose”. Ses essais sont assurés en responsabilité civile. Ils sont d’ailleurs effectués dans le cadre légal, en respectant le principe de précaution. Les Faucheurs sont dans l’irréalité, et Meristem ne peut répondre sur ce plan-là. [...] Notre évaluation des dommages subis est la suivante : 66.000 euros pour la destruction de l’essai, 131.000 euros au titre de mesures compensatoires, 100.000 euros au titre du préjudice moral, soit un total de 297.000 euros.

Plaidoirie de l’avocat de Limagrain : Mersitem n’est pas une filiale de Limagrain, qui agit ici en tant que sous-traitant. [...] La justice doit trancher en droit, seulement en droit. [...] Les Faucheurs ne peuvent invoquer la désobéissance civile, car ils ne peuvent pas prouver l’existence d’un risque quelconque. [...] Le contexte national actuel n’est pas conforme à leurs références, que constituent Gandhi ou la Résistance. Ils inversent les rôles et se proclament victimes. [...] Leurs références à l’état de nécessité et au principe de précaution sont irrecevables, car ils sont tous deux du seul ressort des pouvoirs publics. Quant à l’article 8 de la Déclaration européenne des Droits de l’Homme [le droit de vivre dans un environnement sain, ndlr], il est conditionné par le respect de l’article 1 [le droit de propriété, ndlr] de cette même Déclaration.

Plaidoirie du procureur : Ma conviction [allusion au principal argument exprimé par les prévenu(e)s, ndlr] est qu’il faut respecter la loi. Cette audience a été riche et de qualité, mais la justice n’a pas à être utilisée pour servir de tribune à quiconque. Les imperfections excusables de la procédure, c’est-à-dire les retards de notification et de la visite de l’avocat, ne justifient pas une annulation. [...] Le fauchage d’OGM est un délit, ni civique ni non-violent. Les prévenus, tout aussi sympathiques et sincères qu’ils paraissent, sont avant tout des délinquants. Ils ne peuvent invoquer l’état de nécessité, puisqu’ils ne peuvent prouver le danger. [...] Il existe d’autres moyens de se faire entendre que de mener des commandos. [...] Vous menacez la sécurité de ceux que vous prétendez protéger, si n’importe qui suit votre exemple. Ce n’est plus de la démocratie. [...] Le plus grave est l’aspect prémédité, répété, médiatisé, de vos actions. Vous menacez la démocratie par l’exemple que vous montrez. [...] Arrêtez-vous, avant qu’il ne soit trop tard ! Puisqu’il s’agissait ici d’une action collective, je demande la même peine pour l’ensemble des prévenus, une peine qui ne soit pas d’avertissement, puisque les fauchages se multiplient déjà : un mois de prison ferme.

La parole est à la défense.

Plaidoirie de Marie-Christine Etelin (défense) : Les réquisitions du procureur sont très sévères et injustes, justement au regard de l’aspect collectif de l’action. Il y a là la volonté manifeste de faire un exemple. Une même peine pour tous, alors que chacun est un individu à part... [...] La comparution immédiate n’est pas faite pour juger un mouvement social, d’où le bidouillage de la procédure choisie par le Parquet pour une répression sévère et immédiate. La nullité s’impose pour non-respect des règles du droit. L’excuse d’un contexte exceptionnel pour le retard des notifications aux prévenus est irrecevable : en quoi une manifestation de trois cents personnes est exceptionnelle dans un Etat de droit ? [...] L’Etat a abandonné son rôle de protecteur de l’intérêt général et est hors-la-loi, puisqu’il n’a toujours pas transposé la directive européenne 2001-18 au sujet des OGM. Cette carence de la démocratie est voulue et réfléchie en hauts lieux. [...] Il n’y a jamais eu d’enquête d’utilité publique sur les essais OGM en plein champ. Quand on sait qu’il y en a eu dans le domaine du nucléaire, mais qu’aucune n’a jamais empêcher la construction d’une centrale, on se demande ce que peut bien redouter le pouvoir. L’enquête d’utilité publique a été remplacée ici par un simulacre d’infirmation par internet ! Que l’Etat laisse faire les lobbies pro-OGM jusqu’à une contamination irréversible est la seule explication.[...] Traiter les prévenus de délinquants est une insulte. Eux sont désintéressés. En quoi Limagrain, ici simple sous-traitant payé, qui n’a donc rien perdu, se sent habilité à se porter partie civile ?

Plaidoire de François Roux (défense) : Je trouve choquant que le Parquet nie l’individualité des prévenus, choquant que la partie civile balaie d’un revers de main le principe de précaution, pourtant récemment inscrit par le gouvernement dans notre constitution. Comment peut-on encore aujourd’hui constester le danger des OGM ? Face à la carence de l’Etat, face au déni démocratique, que reste-t-il aux citoyens, si ce n’est d’agir par eux-mêmes ? Le plus grand danger des OGM est leur caractère irréversible, qui justifie à lui seule l’état de nécessité.[...] Vous avez là l’occasion de faire une lecture qui ne soit pas restrictive de la loi, comme l’ont fait récemment, dans le même domaine, des tribunaux anglais. Une demande de prison ferme pour quinze Faucheurs, en France, en 2005, atteint des sommets de ridicule. Vous savez bien que le droit progresse le plus par la violation de certains lois injustes. On nous dit que nous ne pouvons pas invoquer la désobéissance civile dans cette France de 2005, mais cette même France est constamment condamnée à Strasbourg pour non-respect du droit ! Et c’est dans cette France que l’on demande une peine de prison ferme pour des militants non-violents n’ayant aucun autre moyen d’empêcher un danger imminent, comme il l’a été démontré ici même par nos témoins scientifiques ! [...] Les essais OGM en plein champ constituent à la fois une mise en danger imminente d’autrui et une atteinte du droit de propriété par une pollution des champs voisins. [...] Les dirigeants de Meristem ont choisi de faire des essais en plein champ parce que, de leur propre aveu, cela leur revient moins cher que de travailler en laboratoire. Soit. Ils font ce qu’ils veulent ? Pourquoi pas. Mais qu’ils le fassent chez eux ! Ils font du business ? Pourquoi pas. Mais qu’ils ne le fassent pas en contaminant les autres ! Qui est en infraction, si ce ne sont les essais OGM en plein champ ! [...] M. le président, vous pouvez dès maintenant appliquer la convention eurpéenne. [...] A la différence de certains, vous n’êtes pas au service de Meristem ou de n’importe quelle autre firme, mais à celui de la protection de nos droits. Montrez que vous n’êtes pas leur otage. Et posez-vous cette question : dans dix ou vingt ans, si les OGM parviennent à polluer l’ensemble de la biodiversité, et que vos enfants et petits-enfants viennent vous voir en vous demandant si c’est bien vous qui, à Clermont-Ferrand, un beau jour de septembre, avez condamné une quinzaine de simples citoyens qui cherchaient à l’éviter, que leur répondrez-vous ?

Le jugement est mis en délibéré jusqu’au 4 novembre... Ce jour-là, la Cour de Clermont-Ferrand donne son verdict : les poursuites contre trois prévenus sont abandonnées pour vice de forme (au cours de leur garde-à-vue, la notification de leur inculpation et la visite de leur avocat ont été trop tardives selon ce que préconise la procédure) ; les douze autres sont condamnés à une peine d’un mois de prison avec sursis ; ils doivent aussi payer le montant des dommages et intérêts, soit environ 15.000 euros (à répartir entre la firme Meristem, le sous-traitant ( ?) Limagrain et l’agriculteur propriétaire du champ). Avec leurs avocats, ils réfléchissent à l’opportunité de faire appel de ce jugement.

 

source : Gilles Gesson : article paru sur Monde Solidaire

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