Compte rendu du procès des 15 faucheurs de Nonette

Compte rendu du procès des 15 faucheurs de Nonette
1er temps : notre parole

Vendredi 16 septembre, nous étions 3 femmes et 12 hommes à être convoqués à 9h au tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand pour un procès en comparution immédiate suite à notre participation à l’action anti-OGM du 27 août à Nonette dans le Puy de Dôme.

Nos avocats soumettent d'abord 2 questions de procédure au tribunal concernant le déroulement de notre garde à vue et la demande de comparution volontaire de plus de 300 personnes présentes au même instant devant les grilles du palais. Ce sont 80 faucheurs "co-auteurs" des faits mais aussi 220 autres personnes solidaires qui demandent à comparaître en se déclarant "co-responsables" de notre action. Du jamais vu ! Après délibération le président du tribunal accepte "de joindre ces deux questions au fond", on pouvait dès lors commencer à débattre immédiatement du dit fond sans interrompre le procès.

Chacun d'entre nous passe successivement à la barre pour s'expliquer sur ses motivations, s'il reconnaît les faits etc. Jean-Christophe après avoir évoqué Seveso, l'Amoco Cadiz, Tchernobyl, lâche une phrase terrible mais si pleine de sens "j'ai honte d'appartenir à la race humaine". Josh témoigne de ce qu'est l'agriculture aujourd'hui aux Etats-Unis, Serge évoque le respect qu'il a de la Terre, tous avec nos mots, notre vécu, nous donnons un aspect limpide de nos motivations. Et c'est fort, très fort à entendre. Je suis le dernier des 15 à parler; depuis 4 ou 5 dépositions le procureur se fait plus dur à notre égard, opposant la légitimité des paysans à travailler, des scientifiques à chercher, des semenciers à businesser à la notre... Jérôme et Jacques ont déjà commencé à lui répondre. Sur le banc derrière, avec Olivier, nous bouillonnons sévère.

Quelques flexions de genoux avant de prendre la parole et je me lance (merci à Olivier et à la technestésie, non non ce n'est pas une secte étrange, renseignez vous!). En gros j'évoque les 3 violences que je subis et qui m'amènent à faucher ainsi. D'abord le non respect du principe de précaution face à des biotechnologies sur lesquelles beaucoup reste à découvrir, ensuite le déni de démocratie quand par exemple ce sont aujourd'hui plus de 1500 maires à qui l'on a refusé systématiquement le droit de prendre un arrêté interdisant la culture en plein champ. Enfin, le danger sanitaire que représentent ces plantes médicaments face à la pollution incontrôlable de notre environnement, c'est à dire la dissémination irréversible démontrée scientifiquement.

Je martèle mes mots, j'ai trouvé la veille une formule qui me plait bien "à notre insu aujourd'hui, à nos dépens demain ..." et je la place. Avant de me taire je réponds au proc sur la question de la légitimité sur laquelle j'ai les nerfs. Question légitimité, si il y en a une que je peux entendre, c'est celle des malades qui comptent sur un traitement efficace, mais moi à la différence des autres je n'utilise pas leurs espoirs pour faire avancer mes intérêts personnels. Alors je récuse la prétendue légitimité de ces industriels qui en ignorant, repoussant toujours plus tard le débat sur les OGM n'ont en fait qu'un seul et unique objectif : lacher ces OGM dans notre environnement avant le début d'un quelconque débat. Ainsi, si le débat a lieu, ils nous auront d'ors et déjà mis le couteau sous la gorge en provoquant l'irréparable. Je joins le geste à la parole en plaçant ma main droite en biais à plat sous mon cou. Je conclus il n'y a pas de débat possible en même temps que des essais ou cultures en plein champ.

Après cet exposé, le proc trouve le moyen de revenir à la charge sur ma légitimité ! Je réponds "qu'est ce qu'il vous faut d'autre ?". Le président coupe court considérant que ça suffit... Il est 13h10 lorsque nous sortons après ces 15 dépositions énormes. Nos paroles restent en suspend dans mon esprit, je suis vidé. Je refuse tout net une interview. J'en suis incapable à ce moment là.

L'après midi sera consacré à l'audition des 11 témoins, 3 pour les parties civiles, 8 pour notre défense.

Compte rendu du procès des 15 faucheurs de Nonette
2ème temps : audition des témoins

Passons sur le chef des gendarmes locaux qui après avoir prêté serment affirme que TOUT a été fait pour séparer pro et anti-OGM lors de la journée. Pour vous faire une idée retournez voir le début du film d'Eric Boutarin (eric.boutarin.free.fr) ou l'on voit 3 ou 4 de ces miliciens paysans au milieu des gendarmes avec bâton et chien dans le champ... M. Roux questionna alors habilement : "-Vous étiez en poste à Saint Afrique lors de l’affaire du Mac Donald de Millau ?
-Oui !": fut tout simplement sa réponse.

Vient ensuite le témoignage de Me Petit, médecin au Centre de Ressource de la mucoviscidose à l'hôpital de Clermont-Ferrand. Elle détaille les atteintes digestives liées à cette maladie et l'absorption défectueuse des graisses des aliments que connaissent les malades. Depuis 20 ans une lipase pancréatique existe et y remédie plus ou moins bien; elle pourrait être améliorée aujourd'hui, c'est le but des recherches actuelles. Le président du tribunal lui fait préciser que l'on en est au stade de la recherche à ce jour, plus précisément en phase 2 deuxième niveau. Elle ajoute qu'à ce stade avant une éventuelle mise sur le marché (si cela était concluant évidemment) il faut compter au moins 10 ans encore.

Le troisième témoin des parties civiles n'est autre que le directeur scientifique de la société Meristem, Daniel Burtin. Pour lui le maïs est la plante idéale pour cette "jeune société clermontoise" afin de produire des protéines recombinantes. Les autres moyens ? A ses yeux rien de probant, pas assez de rendement et surtout des coûts de production bien supérieurs... Et voilà on y est ! De plus ayons confiance, grâce à lui et Limagrain nous pouvons dormir sur nos 2 oreilles: plants castrés, autorisations du ministère, champ isolés de + de 400m d'autres parcelles traditionnelles, cahier des charges précis etc. Et il termine en affirmant : "rigueur et qualité ne sont pas de vains mots à Meristem" !!!!!! J'en suis encore bouche bée. Il confirme dans la foulée qu'en 2006 sa société souhaite mener des cultures sur plus de 500 hectares, en plein champ évidemment et que la holding Limagrain détient 17% des parts de Meristem...

Puis ce sont les témoins que nous avons choisis pour notre défense qui sont appelés.

Tout d'abord Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'Université de Caen et Christian Vélot, Maître de Conférence en génétique moléculaire à l'Université Paris-Sud XI viennent successivement à la barre et démontent méthodiquement le système Meristem/Limagrain ou tout risque est constamment nié. Ils expliquent que l'étanchéité de la filière est impossible du fait entre autre de la pollution par les sols. Côté contrôle et traçabilité, il y a actuellement une impossibilité à doser des OGM expérimentaux par un organisme public indépendant. Donc impossible de vérifier si les champs environnants sont contaminés. Pour cela, il faudrait au préalable que Meristem dévoile une partie de ses procédés, ce qu'ils refusent car on touche à leurs secrets commerciaux. Dans ces conditions on le comprend, tout va bien dans le meilleur des mondes dans le Puy de Dôme puisque nous devons croire Meristem et Limagrain sur parole !

Lorsque c'est le Maire de Nonnette, Max Thomas qui prend la parole on découvre comment lui et ses 284 administrés ont été mis devant le fait accompli: en mai, seulement, on l'informe de la présence du champ et on lui remet gracieusement une plaquette de Meristem ...en anglais ! Vive réaction locale, le conseil municipal se réunit et 1 arrêté d'interdiction de ces plantations est pris. Le sous Préfet l'appelle alors 2 jour plus tard pour lui signifier qu'il n'est pas légal. Le Maire clame alors son embarras et demande afin de résoudre son problème qu'on fauche ce champ (!) ou bien qu'on le récolte !

José Bové retrace ensuite à la cour l'histoire du combat contre les OGM et ses différents aspects. Il rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme a déduit de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme -respect de la vie privée et familiale- le droit de vivre dans un environnement sain (Arrêt Lopez Ostra du 9 décembre 1994 condamnant l'Espagne).

L.Reversa, éleveur de l'Aveyron, insista sur l'impossibilité de la double filière OGM-nonOGM en expliquant clairement les difficultés à se fournir en aliments pour animaux nonOGM et qui plus est comment le surcoût est aujourd'hui à sa charge.

Enfin Bernard Juban, lui même hémophile et Dominique Pons maman d'un garçon atteint de la mucoviscidose témoignent sur le fait que à leurs yeux la recherche génétique doit avancer mais pas au détriment de la santé des autres ou de l'environnement. En plein champ non, en milieux confinés oui.

Nous étions à ce moment en fin d'après midi autour de 17h.

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3ème temps : le procureur, les plaidoiries

L'avocate de Meristem commence la première : elle présente un certificat d'assurance "en matière de responsabilité civile" qu'a pris Meristem pour mener ses essais et soutient que Meristem fait courir les moindres risques pour la santé humaine (filière séparée, autorisations de l'AFSSA et de la CGB). Côté finances ils ont fait leurs comptes et réclament plus de 200 000euros de dommages et intérêts:

- surface détruite 0.42 ha soit un préjudice de 60 000 euros
- coût du gardiennage des champs 41 000 euros
- manque à gagner cette année (?) 4200 euros
- préjudice moral et commercial 100 000 euros
- frais de justice 15 000 euros

L'avocat de Limagrain et du propriétaire de la parcelle Thierry Dumergue lui s'en remet aux faits. A ses yeux l'ensemble de l'infraction est valide et qui plus est revendiquée. Pas d'état de nécessité valable à ses yeux car pas de preuve de risques majeurs pour la santé. Selon lui toujours, on ne peut invoquer le principe de précaution car celui-ci n'est pas confié aux citoyens mais aux autorités publiques... Sur sa lancée il déboute allègrement aussi la Cour européenne des droits de l'homme car l'article 8 c'est de la protection de la vie privée, point barre !

Puis ce fut au tour du procureur de causer. Sur les conditions de la garde à vue il admet qu'elle fut "un peu imparfaite" avec un retard sur la notifications des droits concernant 6 d'entre nous. Il s'est interrogé sur la différence entre un délinquant "ordinaire" et nous, il n'en voit pas. Il déclare également souffrir de l'utilisation de la justice pour un débat qui ne lui revenait pas et rebelote comme le précédent il récuse l'état de nécessité pour les mêmes raisons. Il nous reproche également "d'utiliser les peurs de chacun, de la société". Bilan il requiert un mois ferme pour chacun de nous, pas d'amende.

Après tout ça c'est enfin le moment pour nos avocats de s'exprimer. Me Habiles fustige la volonté de faire un exemple et cette justice "fast food" (comparution immédiate) dans un dossier qui au contraire nécessite du temps. Christine Etelin insiste à nouveau : la comparution immédiate était elle justifiée ? Non, car en gendarmerie nous n'avions rien reconnu de précis si ce n'est d'avoir participé à une action collective de désobéissance civique. Par contre le procureur lui, il voulait une répression active et immédiate. Sur le fond elle rappelle qu'en terme de droit sur les OGM, nous sommes en état de carence de notre démocratie (non retranscription de la directive européenne 2001/18). Voir à ce sujet la page suivante :
page du site : http://europa.eu.int/rapid/ ...

Ce qui a créé le mouvement des faucheurs, c'est aussi cette carence de l'Etat qui laisse sciemment contaminer le pays pour favoriser l'action des pro OGM; et après constater les faits accomplis.


Puis c'est au tour de Fatima Kadam de prendre la parole. Il est 21h environ. Sa voix frappe durement l'accusation. Les parties civiles n'ont jamais justifié d'un quelconque état de traçabilité. La dissémination irréversible qui nous condamne tous à consommer des OGM sans nous laisser le choix vient à l'appui de l'état de nécessité évoqué. Et surtout si on inverse les rôles :

- qui le premier a pénétré dans l'espace de vie de l'autre ?
- qui le premier a été touché dans son intégrité physique et morale ?

Elle conclue en citant le courage de 2 tribunaux anglais qui dans le passé ont relaxé des faucheurs inculpés comme nous. François Roux enfonce un peu plus le clou : relaxer c'est possible, voulez vous ridiculiser notre justice en condamnant à un mois de prison ferme les 15 ici présents pour avoir coupé quelques épis de maïs ? Et il détourne la phrase du procureur "la loi d'un groupe ne peut l'emporter sur le droit de tous" en :
"la loi de Meristem ne peut l'emporter sur le droit de tous".

Maître Guilhaneuf termine dans la même veine, 22h30 c'est fini.

 

Comme l'a écrit mon ami Christophe, un autre scribouillard des 15 : Vous savez quoi ?... ON VA GAGNER !

Franck, l'un des quinze
octobre 2005

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Contact : fauchnonette@free.fr octobre 2005